O Sentimental Machine

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O Sentimental Machine Alfonso Salgueiro
François Sarhan

O Sentimental Machine est une suite de trois films avec musique composée pour la première partie de Telegrams from the Nose. Le premier est un film d’animation russe de 1924, La Révolution interplanétaire, qui présente dans un style échevelé la conquête de l’espace et la libération des travailleurs martiens du joug capitaliste. La franchise du discours propagandiste est ici portée par une animation de papiers image par image, à l’imagerie typique (les capitalistes en chiens, les travailleurs exsangues, etc.). Le deuxième est un film de William Kentridge, O Sentimental Machine, qui présente une aventure amoureuse entre la secrétaire de Trotsky et un gramophone, et qui utilise quelques images d’archives de Trotsky faisant un discours (en français) filmé à Istanbul. Le troisième est un montage d’images d’archives des funérailles de Staline en 1953, où l’on voit dans une mise en scène soignée l’immense pays plié par la douleur – grues et locomotives comprises.

Le point commun entre ces trois films est le mélange d’enthousiasme, d’énergie et d’espoir qui régnaient dans ces années, avant d’être une première fois brisé par la chape de plomb stalinienne puis par la mort de Staline. Cet espoir reposait sur la construction d’une nouvelle société dont les bases ont été posées par Lénine (visible dans La Révolution interplanétaire et O Sentimental Machine) et qui ont influencé toutes les sphères d’activités en Russie : l’économie, l’art, la société, la politique, les infrastructures, etc. La machine, le progrès technique ont eu un rôle déterminant dans cette construction, non seulement parce que Staline a mené une industrialisation massive du pays, mais aussi parce que le machinisme est devenu une valeur en soi, présent dans la vie de tous les jours (comme en témoigne La Ligne générale de Eisenstein par exemple), comme dans l’imagerie. La machine est un outil de progrès qui doit libérer l’homme, elle devient une figure, elle se personnifie, elle est le meilleur ami du travailleur, et prend sans surprise une place majeure dans la représentation et la propagande.

La musique n’est pas en reste, Mossolov et Prokofiev par exemple chantent le métal et la fonderie, dans un style machinique et haché. O Sentimental Machine se fait l’écho de ce rapport au progrès technique, en utilisant des instruments nouveaux, fabriqués récemment par Matthieu Metzger, qui mélangent primitivisme, bricolage et simplicité. L’ensemble Ictus est ici un petit collectif de travailleurs qui chantent les lendemains radieux sur des appareils de fortune, montrant en même temps l’utopie et l’échec. William Kentridge a utilisé la machine de manière plus douce et ironique, en mélangeant la caméra (visible dans le film) et le gramophone, machines à usage privé qui font le lien entre Trotsky et sa secrétaire, le gramophone étant finalement l’objet du désir. Il y a une couleur tragicomique, ironique, dans l’ambition internationale du discours de Trotsky et la dérive érotique étrange de l’appareillage qui l’entoure.

Chostakovitch est central dans Telegrams from the Nose, à cause de l’utilisation de l’imagerie réalisée par Kentridge pour Le Nez. Pourtant, pas de citations dans Telegrams from the Nose, une couleur générale plutôt, volontiers grinçante, qui contraste avec la première partie, qui se situe encore dans la phase enthousiaste des années 1920, et qui s’achève avec la grande messe des funérailles de Staline. Telegrams from the Nose est donc joué sur des instruments Stroh, violons du pauvre, en métal, avec un pavillon métallique pour amplificateur. L’espoir industriel est devenu récupération grimaçante des instruments classiques.